15h. Je quitte mon cours de philosophie sur la Justice pour retrouver Léa, Mathilde, Louise, Adèle, Luka et M. Patalano en salle des Actes. Dernier briefing, répartition des rôles entre ceux qui poseront les questions et ceux qui prendront des notes, installation de la salle... Puis M. Hemedinger arrive, on se salue, on échange quelques mots de remerciement... et l'interview peut commencer.
Un grand merci à M. Hemedinger pour son temps et ses réponses, ainsi qu'à M. Patalano, pour avoir permis cette interview très enrichissante !
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Mais de quoi parle-t-on au juste dans cette interview ?
Après 5 semaines de débats à l’Assemblée nationale, une loi pour lutter contre le réchauffement climatique a été votée: la loi Climat et Résilience. (On vous épargne son nom complet: "Projet de loi portant sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets").
Concrétisant une partie des 146 propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat (dont on a interviewé un tout jeune membre ici), c'était une loi très attendue qui a soulevé bien des débats.
Pour mieux la comprendre, nous avons sillonné internet à la recherche d'informations mais surtout eu l'occasion d'interviewer M. Hemedinger, député du Haut-Rhin à l'Assemblée nationale.
Cette loi est-elle assez ambitieuse ? Comment s'est déroulé son vote à l'Assemblée nationale ? Quels partis ont pris position et pourquoi ? Immersion dans les enjeux politiques, économiques et sociaux qui entourent cette loi.
Disclaimer: Cet article est composé, d'une part, de retranscription de notre interview avec M. Hemedinger, mais aussi de recherches personnelles (sources en fin d'article), afin d'analyser ce projet de loi à travers un prisme le plus pluriel possible.
Comment s’est déroulé le vote de cette loi ? Qui a voté pour, contre, s’est abstenu ?
Mardi 4 mai, le texte de la loi Climat a rallié les voix de 332 députés quand 77 s’y sont opposé et 145 se sont abstenus. M. Hemedinger est de ceux-là, puisque comme de nombreux membres des Républicains, il s’est abstenu. Un choix assumé par presque la totalité de son parti qui, se réunissant tous les mardis matin, avait discuté de voter "contre" avant de décider à la majorité de se tourner vers l’abstention.
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En effet, pour donner une certaine cohérence, des lignes directrices sont généralement choisies au sein d’un même parti, afin que ses membres se positionnent de la même façon. Ainsi si l’abstention a été majoritaire chez les Républicains et le Rassemblement national, le parti de La République En Marche a voté pour à une écrasante majorité, comme le Mouvement Démocrate (51 pour, 4 contre), tandis que les Socialistes votaient contre (la totalité des 29 membres), imités par la France Insoumise (la totalité des 17 membres).
Est-ce un projet de loi qui réunit tous les bords politiques et partis? A-t-on un consensus qui émerge sur sa nécessité ?
« Tous les bords politiques ont conscience de la nécessité d’agir. »
L’écologie est ainsi depuis plusieurs années présente dans les programmes de tous les partis politiques. Cependant, si pour M. Hemedinger c’est un sujet qui transcende tous les partis, les résultats du vote par parti : contre à gauche, pour au centre, abstention à droite… révèlent que la façon de répondre à ses enjeux est loin de faire consensus : quelle importance donner aux enjeux climatiques ? Que prioriser dans leur réponse ? Voici peut-être les questions qui divisent le plus aujourd’hui.
Il existe ainsi différents arguments contre cette loi , parmi lesquels :
Cette loi manque d'ambition :
C’est l'opinion de nombreux participants à la Convention Citoyenne sur le Climat (CCC).
Lors de la dernière réunion, ses participants avaient évalué le projet de loi climat et résilience, qui avait alors reçu la note de 2,5 sur 10, dénonçant “un manque de courage”.
C'est également la position défendue par le Haut Conseil pour le climat regrette un « manque d’ambition sur la portée, le périmètre ou le calendrier » des réformes proposées, tout comme les partis de gauche (Socialistes comme France Insoumise):
« Nous ne soutiendrons pas un texte qui marque par sa faiblesse.» - Guillaume Garot, parti socialiste
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Cette opposition à la loi explique les nombreuses manifestations qui ont eu lieu en mars pour appeler à une plus grande ambition.
Les propositions sont irréalistes
Interdiction de la publicité en faveur des énergies fossiles, 20% de la surface de vente consacrée à partir de 2030 à la vente en vrac dans les grandes surfaces, interdiction des vols domestiques quand une alternative en train existe en moins de 2h30, division par deux du rythme d’artificialisation des sols sur les dix prochaines années (par rapport à la décennie précédente), 30% d’aires protégées (aujourd'hui la France est à 23,5%)...
Ces mesures, souvent déjà modifiées à la baisse par rapport aux propositions de la CCC, sont jugées trop contraignantes par une partie des acteurs politiques.
L’ampleur des enjeux climatique appelle davantage à des mesures au niveau continental voir mondial :
La France manque d'ambition par rapport à l'Europe:
En effet, l’Europe a récemment rehaussé son ambition à 55% de réduction des émissions de gaz à effet de serre (par rapport à 1990) d’ici 2030, or la loi Climat ne fixe qu’un objectif de -40% pour la France : nous serions donc sous la moyenne voulue par l’Europe. Cette nouvelle ambition de l’UE rend donc déjà caduque la loi climat.
Cette loi fait obstacle à l’économie française:
La droite appelle à «de réelles avancées environnementales sans pénaliser le pouvoir d'achat des Français.» - David Lorion, Les Républicains.
Personnellement, M. Hemedinger explique s'être abstenu pour l'ensemble de ces raisons mais soulève aussi l’irréalisme de certaines mesures, intenables à ses yeux. Le fait que la loi ne reprenne pas toutes les propositions de la CCC serait finalement une bonne chose selon lui, certaines propositions étant à ses yeux trop déconnectées de la réalité.
M. Hemedinger : « Pour moi, écologie ne doit pas rimer avec décroissance. Il n’y a pas de raison que les jeunes vivent sur le gâchis des autres.
Mathilde : Pourtant notre modèle de croissance actuel nous promet à des impacts climatiques sérieux, dont vont souffrir les jeunes : détérioration de l’air, canicules, catastrophes naturelles…
M. Hemedinger : Bien sûr, mais aujourd’hui certains pays ont aussi besoin de se développer, de connaître une croissance, d’où l’émergence de nouvelles productions de GES. Il ne faut pas être pessimiste pour l’avenir : le réchauffement climatique c’est aussi cyclique après tout.
Mathilde : Il est difficile de parler d’un réchauffement climatique « cyclique », naturel. L’existence du réchauffement climatique n’est plus à démontrer, la question est de savoir comment y faire face.
M.Hemedinger : Il faut aussi faire confiance à la nature humaine qui va trouver des solutions, de nouveaux modes de développements solidaires et écologiques, mais tout en restant dans un développement. Il ne faut pas tomber dans le piège de noircir trop la situation, certains la noircissent à dessein. Il ne faut pas que l’écologie devienne une religion, avec une culpabilisation sur les comportements. Il ne faut pas baisser la tête. »
21% des amendements ont été jugés irrecevables: ont-ils été débattus ? Sur quels motifs?
Pour qu’une loi soit votée à l’Assemblée nationale, elle doit d’abord être étudiée en commission spéciale (= un groupe de députés de l'Assemblée). Et c'est seulement par la suite que la loi passe en discussion dans l’hémicycle, où chaque député peut proposer des amendements.
Pour la loi Climat, 3 semaines de discussions, soit 110h de débat, étaient prévues. Or, beaucoup d’amendements (=propositions de modification) ont été déposés. Ceux-ci sont normalement examinés par la commission mais dans ce temps limité, beaucoup d’entre eux n’ont pas pu être discutés, par manque de temps.
« On s’est réunis jusqu’à minuit souvent (pas tous les députés bien sûr, ceux qui connaissent le sujet, car un député ne peut pas savoir tout sur tout, et parfois cela ne sert à rien de rester jusqu’à minuit quand on doit être dans une commission plus pertinente). »
A titre d’exemple, M. Hemedinger a déposé 80 amendements, qu’il a défendu (2 min donnée par amendement).
Exemple concret :
Un des points qui a posé problème était l'interdiction de la création de nouvelles zones commerciales tant que celles présentes n'avaient pas été entièrement consommées. En effet, cette loi ne prenait pas en considération les entrepôts d’E-Commerce (comme Amazon) qui échappaient donc de fait à cette interdiction.
Un amendement déposé par certains députés ( et d’ailleurs applaudi par des députés d'un parti adverse, ce qui prouve qu'il peut y avoir des accords qui vont au-delà de postures politiciennes) souhaitait leur prise en compte. Car ces zones d’e commerce, nécessitent beaucoup de foncier, sont pauvres en emploi puisque robotisées et le e-commerce multiplie les déplacements en camions. S'en est suivi un débat 5h ... pour que l'amendement soit finalement rejeté !
De plus, il y a des limites légales à ce que peuvent apporter les amendements. L'article 40 de la constitution par exemple, interdit les amendements qui génèreraient une dépense supplémentaire de l'Etat (le budget du gouvernement étant fixé lors de la séance budgétaire annuelle, on ne peut y ajouter de coûts).
Un système d'évaluation permanent des effets de la loi, qui s'appuiera notamment sur le Haut Conseil pour le climat et la Cour des comptes, doit être mis en place pour surveiller l’application de cette loi et ses effets. De quoi s'agit il ?
L’Assemblée nationale travaille en différentes commissions et l’une d’elles a pour mission d’évaluer l’impact des lois qui ont été votées. Il est un peu tôt pour en parler car la loi, si elle a été votée à l'Assemblée, doit encore être approuvée par le Sénat (mi-juin). Avant fin 2021, un rapport du gouvernement devra présenter les moyens d’améliorer l’évaluation de l’impact environnemental et climatique des projets de loi. Cela reste pour le député haut-rhinois une très bonne initiative:
« Il existe trois grandes phases dans l’établissement d’une loi : le processus de réflexion (examiner, rechercher, étudier les lois … ce qu’a fait la commission d’étude de la loi Climat), la décision du vote de la loi et son évaluation. Et cette dernière a parfois tendance à être oubliée ! ».
NB : Chaque commission est composée d’un certains nombres de débutés volontaires. La proportionnalité des partis (LREM, LR, PS etc) doit être la même que dans l’Assemblée nationale. Par exemple s’il y a 40% de députés du parti LREM à l’Assemblée, ils devront représenter 40% des membres de chaque commission.
Un projet de loi constitutionnelle qui intègrerait à l'article 1er de la Constitution la préservation de l'environnement, ( proposition de la Convention citoyenne pour le climat) est prévu et sera soumis à référendum en 2021. Pouvez-vous nous en dire plus ? Qu’est-ce que cela impliquerait ?
En décembre, Emmanuel Macron annonce que la proposition de modification de l’article 1 souhaitée par la Convention Citoyenne sera soumise au vote du Parlement puis au référendum. Quelques semaines plus tard, elle est reprise sans filtre par le Gouvernement et intégrée dans le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement.
Parmi ceux qui défendent cette proposition, on retrouve le collectif "Notre constitution écologique", rassemblant 4 associations dont la très médiatique "Notre Affaire à tous". Ce collectif défend concrètement l'ajout de cette petite phrase dans l'article premier de la constitution ;
« (La France) garantit la préservation de la biodiversité, de l'environnement et lutte contre le dérèglement climatique ».
Pourquoi ? Parce que le loi (et notamment la Charte de l'environnement) n'est pas suffisamment contraignante à leurs yeux. Ce changement de la Constitution et l'ajout du principe de non-régression (le fait qu'on ne puisse pas revenir en arrière sur une décision écologique) aurait sans doute pu empêcher le retour des néonicotinoïdes sur le marché par exemple (validé par le Conseil constitutionnel en décembre 2020). Ce changement constitutionnel permettrait aussi de ne pas faire dépendre les actions environnementales des changements conjoncturels de majorité parlementaire.
De l'autre côté, les opposants à cette idée dénoncent une mesure trop restrictive économiquement, source de blocage de la croissance et de l’innovation. Certains, comme M.Hemedinger, dénoncent aussi cette mesure comme une simple posture, presque un «concept marketing":
On peut se faire plaisir et dire « j’ai fait rentrer ça dans la Constitution, je l’ai voté, voyez comme je suis un bon citoyen, votez pour moi ». Mais il faudrait en premier lieu faire en sorte que la France et l’Europe respectent les accords de Kyoto. Demain il peut y avoir des idées écologiques qui émergent et ne correspondent pas à cette Constitution : cette Constitution nous lierait alors les mains."
Sources :
Assemblée Nationale :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/3875/CSLDCRRE/3633
Légifrance
Le Figaro:
https://www.lefigaro.fr/politique/loi-climat-l-assemblee-nationale-adopte-largement-le-texte-20210504
Notre Constitution Ecologique
Vie Publique:
https://www.vie-publique.fr/loi/278460-loi-climat-et-resilience-convention-citoyenne-climat
Interview réalisée par Camille M, Mathilde M, Adèle L, Luka M, Louise S et Lea A
Article rédigé et mise en page par Camille M
Relecture: Mathilde M
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