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Talents lycéens #12 : Léo, une nouvelle vision du monde

Vous vous demandez ce qu'ils deviennent, ces gens de notre âge qui se mêlent de la politique et qu’on rejoint parfois (ou pas) avec nos pancartes pour défiler dans la rue ?


> Léo, lycéen en terminale, était coordinateur du mouvement Youth for Climate à Strasbourg ; il nous éclaire et nous donne un point de vue inédit sur l’engagement lycéen par les temps qui courent.



1-Hey ! Puisque les présentations sont plus ou moins déjà faites, peux-tu nous dire depuis quand tu es engagé pour Youth for Climate (YFC) Strasbourg ? Et, pourquoi ?


  • Je suis engagé pour YFC depuis 1 an et demi, à peu près depuis la création du mouvement ; à la suite d’une prise de conscience, en visionnant plusieurs émissions sur l’environnement, où le thème était abordé par des jeunes. J’ai continué à me renseigner et la gravité de la situation m’a choqué. Aujourd’hui, je ne suis plus du tout actif au sein du mouvement.


Image extraite du compte Facebook de YFC Strasbourg


2-Pourquoi s’engager en faveur du climat et pas autre chose ?


  • C’est la première cause pour laquelle je me suis engagé, mais quand on lutte pour le climat et qu’on s’intéresse à l’actualité et la politique, on s’aperçoit que c’est lié à beaucoup d’autres problèmes, que ce soient les inégalités sociales, la misère, la destruction de la biodiversité, la protection numérique, le racisme, etc. Comme c’est lié à beaucoup d’autres choses, cela fait que l’on s’engage dans d’autres causes naturellement.


3-Qu’as-tu déjà réalisé comme actions concrètes pour YFC ? Plus grandes difficultés ?


  • J’ai surtout participé à l’organisation des grèves, notre mode d’action principal, qui permet de rassembler beaucoup de monde ; vu qu’on était des jeunes et qu’on a des valeurs politiques différentes des autres, ça fait plus de bruit dans les médias.

Au début, on voulait surtout faire bouger le gouvernement, mais beaucoup de gens, lorsqu’ils ont compris qu’il ne bougerait pas, en ont conclu que les marches et grèves ne servaient plus à rien ; mais je pense qu’ils ont oublié que nous étions confrontés à une certaine idéologie Macron, et que ce qu’il fallait, c’était essayer de bouger les consciences pour que cette idéologie puisse être remplacée, mais pas essayer de changer l’idéologie en elle-même. Beaucoup se sont « radicalisés » dans leurs méthodes d’action, se sont dirigés vers la désobéissance civile, ce qui je pense est très bien, mais ne permet pas aux masses, à l’ensemble des gens, de se reconnaître dans ce genre d’actions, et ça peut même desservir la cause.


Mes plus grandes difficultés, c’est que l’on n’arrivait pas à comprendre comment plus rassembler les gens et plus les sensibiliser ; au fil des marches, leur nombre a diminué et après le succès de la première, on n'a pas réussi à les remobiliser.


4-Pourquoi les gens ont arrêté d’aller aux marches selon toi ?


  • Le mouvement du 15 mars a été très médiatisé, il y avait vraiment un mouvement pour entraîner les gens ; mais ceux qui y sont allés une fois, pourquoi y retourneraient-ils une seconde fois, s’ils ont vu que ça ne marchait pas ? Je pense que c’est parce qu’on a pas du tout informé sur le but de nos marches, leur objectif.

On brandissait des slogans un peu hypocrites, par exemple « pour sauver le futur », mais on savait très bien que même si on réunissait beaucoup de monde, ça n’allait même pas résoudre 5 % de notre futur.

Des jeunes manifestants devant le Parlement Européen à Strasbourg, le 15 mars 2019 ; photo par Marc Rollmann des DNA


5-Plus belle réussite ?


  • La plus grande réussite, c’est la grève du 15 mars 2019, avec 200 000 personnes dans toute la France dont 6000 à Strasbourg, mais si l’on compare avec nos voisins allemands, ils étaient 150 000 ce jour-là, puis 1 million le 24 mai quand nous étions 40 000 dans toute la France, et 1,8 million le 20 juin quand nous étions 60 000. La bonne nouvelle, c’est que ce mouvement marche à l’internationale ; pas en France car on a dû mal gérer, avoir un problème de stratégie peut-être.


6-Et du coup, est-ce que tu penses que vous pouvez vous inspirer de la stratégie allemande ?


  • Elle ne fait pas consensus, car elle utilise beaucoup d’argent pour faire de la pub, il y a des moyens financiers très importants derrière, et nous on se refuse à utiliser ces moyens. La différence, donc, c’est qu’on n’a quasiment pas de moyens financiers. De plus, l’Allemagne, d’une certaine manière, n’a pas cette culture de la mobilisation, ce qui fait que les grèves sont plus exceptionnelles et c’est plus facile d’avoir un impact médiatique. Et il y a aussi un autre aspect : en France, on finit les cours vers 17h quand les allemands finissent vers 13-15h, et ont donc toute l’après-midi pour faire la marche.

Il faut relativiser ; pour moi, les marches ont beaucoup servi, juste en voyant la préoccupation grandissante des gens envers l’environnement, et je pense que si l’on avait réussi comme en Allemagne à mobiliser beaucoup de gens, garder le cap et définir des objectifs clairs et précis, on pourrait avoir une préoccupation pour l’environnement beaucoup plus forte aujourd’hui.


Photo d'une manifestation pour le climat en Allemagne ; crédit Reuters/ F. Bensch


7- As-tu déjà été interviewé à ce propos ?


  • J’ai personnellement été plutôt médiatisé ; je suis passé sur CNews et sur France 3 Alsace plusieurs fois, j’ai écrit une tribune publiée dans Libération ; j’ai aussi écrit des tribunes pour le Monde qui ont été refusées à chaque fois.

Le Monde, il y a une adresse où tu envoies ce que tu voudrais publier, et soit c’est accepté, et ils vont bien développer, soit ils vont te dire que ça ne les intéresse pas.

Léo, à 15 ans, lors de son interview sur le plateau de CNews le 23 juillet 2019


8-Que penses-tu de l’activité du mouvement aujourd’hui ? Est-elle encore forte ou en est-elle à son point mort selon toi ?


  • Le mouvement en est clairement à son point mort ; la question est comment le remobiliser. Je pense qu’il faudra du temps pour qu’une autre génération reprenne le flambeau. Ceux qui sont encore actifs sont trop déconnectés des moyens de mobiliser les gens. Ils se disent qu’on a pas le temps d’en faire prendre conscience aux autres, qu’on doit agir le plus vite possible, mais je pense que c’est contreproductif, qu’on va se heurter à un mur en essayant d’agir ainsi, et que, quand on devra mettre en place des mesures dures mais nécessaires, les gens seront réticents. Il ne faut pas oublier l'aspect sensibilisation.


9-Les scientifiques sont-ils autant soudés pour résoudre ce problème que pour résoudre la crise du Covid-19 ?


  • Bien sûr ; en 2019, une tribune publiée dans le magazine américain BioScience a été signée par plus de 10 000 scientifiques dans le monde entier. En France, des tribunes sont signées par des milliers de scientifiques chaque année ; et des scientifiques qui travaillent sur le climat et la biodiversité, il n’y en a pas beaucoup donc ça les réunit quasiment tous. Et des scientifiques qui s’engagent politiquement, c’est très rare ; pour eux, il doit vraiment y avoir une limite entre les faits et ce qui en est fait ; et donc s’ils mélangent ça, ça montre la gravité de la situation, car ils sont prêts à remettre en question la tradition scientifique de ne pas s’engager en politique. Il y a un consensus scientifique clair mais il n’y a pas assez d’études car pas assez de moyens mis en place.

Pour lire la tribune dont il est question : https://academic.oup.com/bioscience/article/70/1/8/5610806


10-L’engagement politique des jeunes est-il majeur selon toi ou inutile pour faire avancer notre société ?


  • C’est la base ; le problème, c’est qu’une fois qu’on est imbriqué dans le monde du travail, c’est plus dur de se reconvertir et de changer de métier. Quand on est jeune, on n’est pas encore immergé dans l’idéologie du travail ; il y a des idéologies partout, même simplement quand on pense, et il ne faut pas en avoir peur, mais on sera plongé dans une idéologie où il faut tout faire pour faire fonctionner l’économie, alors que là on a une réflexion de fond, on se demande à quoi ça sert de la faire marcher si elle ne va pas bien vieillir, et je pense qu’on doit vraiment préserver ça ; qu’on a le rôle majeur pour redéfinir la société.

Photo de Loïc Venance / AFP


11-Comment concilier scolarité et engagement ?


  • C’est super conciliable ! En soi, lors de ta scolarité, tu apprends des choses, et tu ne sais même pas à quoi cela va te servir, à part pour ta note. Et si tu t’engages politiquement, tu vas comprendre pourquoi tu t’engages, tu vas apprendre à communiquer avec les gens, et ça va forcément te servir plus tard. Tu développes tes capacités relationnelles, tu rencontres de nouvelles personnes ; et je pense que m’engager politiquement, c’est la meilleure chose que j’aie faite de ma vie, sinon, je me sentirais inutile. J’ai besoin de me sentir utile même si c’est un peu égoïste de dire ça. J’ai vécu des moments très forts que je n’aurais pas vécu si je n’étais pas engagé ; je suis allé à Paris et à Bruxelles plusieurs fois, etc.

Je pense que ça peut nous apporter beaucoup de choses. Si tu veux faire du marketing et que tu dis que tu as été engagé pour le climat, ça peut même être utile pour faire du greenwashing ; mais de toutes façons, peu importe ce que tu fais plus tard, je suis sûr que cela te sera utile et que tu apprendras peut-être même plus dans ton engagement qu’à l’école.


C’est dur de concilier les cours et l’engagement tout de même ; ça peut demander beaucoup de travail. Si par exemple tu prépares un visuel pour les réseaux sociaux, tu peux y passer facilement plusieurs heures, et il y a donc des choix à faire.


12-On dit souvent que notre génération est fainéante… qu’en penses-tu ?


  • Je suis quasiment sûr que ceux qui disent ça étaient aussi fainéants que nous ; en soi, on a juste d’autres intérêts. Pour moi, être fainéant, c’est de ne pas toujours consacrer son temps au travail, et quand on nous accuse d’être fainéants, on nous accuse de prendre plus de temps pour nous. Et pour moi, ça n’a aucun sens, et ça montre encore cette idée d’économie et de productivisme à défaut de notre bien-être.

Léo lors de son interview sur France 3 Grand Est


13-Est-ce que ça ne montrerait pas un choc au niveau des idéologies générationnelles ? Les plus âgés penseraient surtout au travail et les jeunes à s’ouvrir au monde ?


  • En soi, c’est juste un cycle ; ils étaient comme nous au début, si l’on regarde Mai 68, soixante ans en arrière. Ils demandaient plus de bien-être, qu’on puisse prendre plus de temps pour nous, mais ça n’a pas vraiment changé. On sera de toutes façons obligés de s’intégrer au monde du travail, mais j’espère que d’ici là on aura changé les choses pour travailler dans l’intérêt collectif.

Quand on est adolescents, on a des priorités plus futiles, on veut profiter de la vie ; quand on vieillit, nos priorités changent, on a une famille à faire vivre, on est autonomes et donc obligés d’avoir un travail pour survivre, et donc on va forcément rentrer dans cette logique de travail, on n’a pas le choix.


En résumé, je pense que l’on doit créer un nouvel imaginaire pour les gens, pour qu’ils se détournent de la croyance en l’économie actuelle et le progrès technique pour se tourner plus vers une autre source de bonheur.


14-Les réseaux sociaux ont-ils un rôle important à jouer, selon toi ?


  • C’est simple : je pense que dans notre jeune génération, on a deux vies. Une vie « physique », et une vie virtuelle sur les réseaux sociaux. Le truc, c’est qu’on passe tellement de temps dessus que c’est devenu beaucoup plus facile de sensibiliser là-dessus, sans tenir compte de la distance, et on peut toucher beaucoup plus de monde, ce qui est plus facile que d’aller voir les gens un par un pour les sensibiliser, même si c’est plus efficace ; toutefois, une part relative des gens s’en fiche. Ce qu’ils cherchent sur les réseaux, c’est de la distraction et pas de l’information.

Les réseaux ont clairement un rôle à jouer, que ce soit pour l’organisation ou le partage d’informations ; les Gilets jaunes, sans Facebook, ça n’aurait jamais existé. Cela montre que les réseaux sociaux sont essentiels à la mobilisation aujourd’hui.

Les jeunes et les réseaux sociaux / Forbes France









15-Est-ce que tu penses que les moyens financiers d’une association augmentent ses chances d’avoir un impact, ou que celui-ci repose uniquement sur la capacité de ses membres à influencer ?


  • Cela dépend des deux ; l’argent peut servir à compenser un manque de moyens humains, c’est-à-dire des gens actifs dans le mouvement, qui organisent les manifs, sensibilisent les autres, qui sont à la base du mouvement ; cela lui permet de fonctionner sans de très grands financements. Si par exemple tu veux créer un site Internet et que tu as beaucoup de participants dans le mouvement, tu as plus de chances de trouver quelqu’un qui en aura les capacités et le fera bénévolement ; c’est pareil pour les vidéastes, monteurs, etc. Plus le mouvement est grand, plus tu auras de chances de trouver des gens qualifiés pour exécuter certaines tâches, et moins tu auras besoin de moyens financiers.


16-Pour finir, peut-on parler d’un désir croissant au fil des générations de changer le monde, selon toi ?


  • Pour moi l’engagement est décroissant, mais avec l’avènement de la mobilisation en ligne, il peut totalement devenir croissant. Il y une énorme différence entre les anciennes générations et la nouvelle ; si nous ne changeons pas le monde, personne ne le fera derrière. On est les derniers à pouvoir agir.


Merci à Léo de nous avoir accordé cet entretien si enrichissant !



L'interview de Léo sur CNews :

Son interview sur France 3 Grand Est :

Le compte Instagram de YFC Strasbourg :


Propos de Léo BOEHM (@leo__boehm sur Instagram),

recueillis par Louise SEBASTIEN

Article et mise en page par Louise SEBASTIEN

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